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11/06/2008
L’histoire et la culture au miroir de la République et de la nation, quels repères ?
Avec Michel DUFFOUR (ancien ministre, ancien sénateur, PC), Brigitte KRULIC (professeur des universités, spécialisée dans le domaine de l’histoire des idées politiques), Bernardo MONTET (danseur et chorégraphe, directeur du centre chorégraphique de Tours), Pap N’DIAYE (historien, membre du conseil scientifique du CRAN). Modérateur : Jacques RENARD (administrateur civil).
Chercheurs, politiques, intellectuels, artistes, rassemblés lors de ce colloque dans un dialogue interdisciplinaire inédit, animé par Stéphane Fiévet, Christophe Prochasson et Jacques Renard, à la Maison des Métallos le 16 mai 2008.
Ce document est une retranscription du colloque organisé par l'Argument Public, le samedi 17 mai 2008, à Paris à la Maison des Métallos. Les propos tenus engagent leurs auteurs exclusivement.
Jacques Renard
La première table ronde a montré les difficultés et peut être les risques du concept d’identité nationale, d’identité de la France, de la Nation. Un autre clivage aurait pu aussi être évoqué : patriotisme et nationalisme. Nous allons tenter à présent d’évoquer ici les éléments constitutifs de l’identité nationale, de la Nation ou de ce que certains ont appelé le modèle français : l’universalisme républicain égalitaire, la laïcité, le rôle de l’Etat qui a une place spécifique en France par rapport à d’autres pays, la place ou le rôle de la France dans le monde, le modèle social.
Autant d’éléments qui constituent ou qui ont constitué cette configuration permettent de parler de l’identité nationale ou de la Nation. Ce qui est intéressant c’est de voir aussi que ces éléments constitutifs sont aujourd’hui interpellés et parfois mis en cause. Les mutations de la société ou du monde mettraient à bas ou en danger ces éléments.
Ce qui est considéré traditionnellement comme les "atouts" de la France peut se déprécier : par exemple la langue française, ou la place de la France dans le monde, il suffit de se référer aux thèses "déclinistes". Il convient aussi de ne pas oublier le "ressenti" des Français, que certains identifient grâce à des sondages, des études ou des interprétations. Ils sont en cela rejoints par certaines réflexions d’intellectuels ou d’observateurs de haut niveau sur la façon d’interpréter l’évolution de la France à l'occasion du "non" au référendum européen ou de la crise des banlieues. Ainsi, Marcel Gauchet considère qu’on peut parler en France d’un "désespoir collectif". Hubert Védrine dans ses ouvrages les plus récents, évoque un pessimisme spécifique à la France, aux Français, puisque, si tous les pays ressentent des difficultés vis-à-vis de la mondialisation, il y a cependant une perte de confiance qui est spécifique à la France par rapport à l’évolution et aux mutations du monde. Un certain nombre de questions se posent : ces repères sont-ils pertinents ?
Comment l’histoire peut-elle aider à comprendre les conditions de création de ces éléments constitutifs ? Peut elle rendre compte de leur évolution, et de leurs difficultés actuelles ?
Du côté de la culture et des artistes, parce que le regard que les artistes portent sur la société est irremplaçable, il apparaît que le champ artistique et culturel est au coeur de ces débats sur universalité/singularité, interculturalité/multiculturalité, dés lors que maintes productions en rendent compte.
Jacques Renard et Brigitte Krulic
Brigitte Krulic
Mon point de vue sera celui de l’historienne et reprendra certains échos de ce qui a été dit au cours de la première table ronde et notamment des propos de Catherine Trautmann sur la laïcité. Ce problème est un problème philosophique majeur, je n’apporterai que des points de repère : comment être à la fois égal et différent ? Comment assurer à la fois l’égalité et la pratique de la reconnaissance de la diversité ? Cet enjeu me semble absolument crucial. Le point de repère dont je vais essayer d’esquisser les enjeux et les modalités est cet universalisme républicain, mentionné au début de la table ronde. L’universalisme républicain ne connaît que des individus, pas des communautés.
Je reprends tout d’abord un élément d’actualité qui a fait couler beaucoup d’encre récemment, la décision du Conseil Constitutionnel de novembre 2007 censurant l’article 63 de la loi Hortefeux relatif aux statistiques ethniques : "L’article n’est pas conforme à la Constitution parce qu’il contrevient au principe énoncé dans le titre premier article 2 de la Constitution ("la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale, elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion"), il en résulte que les traitements nécessaires aux études statistiques ne sauraient reposer sur l’origine ethnique ou la race". Cette référence à l’universalisme du modèle républicain continue à irriguer la culture politique française, c’est un élément dont nous devons tenir compte car les historiens s'intéressent à la longue durée, qui se retrouve dans un certain nombre de pratiques. Le modèle républicain, qui est la forme sublimée de la France où fusionnent le peuple, la Nation et l’Etat, définit des modalités de construction d’un modèle politique fondé sur l’égalité des individus émancipés des déterminations objectives, ce point a été abordé lors de la précédente table ronde. Ces déterminations objectives peuvent être l’origine "ethnique", le sexe, la religion etc. La République constitue une communauté de citoyens, les déterminations objectives sont subordonnées à l’appartenance citoyenne, laquelle ne reconnaît pas ces déterminations. Je rappelle là le principe classique du modèle républicain.
Les origines historiques sont connues : la Révolution Française, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen dont l’article 3 définit le principe de souveraineté qui réside essentiellement en la Nation, mais l’article premier affirme l’égalité de droit, ces deux articles fondateurs de la Déclaration sont donc indissociables. Le principe d’égalité (article premier) comme la Déclaration dans son ensemble consacrent l’avènement du peuple comme principe agissant et légitimant l’histoire. Cette définition du peuple puise sa source dans le contrat social de Rousseau, revu et interprété par les constituants et le personnel politique révolutionnaire. Cette révolution qui a crée la République une et indivisible postule l’existence d’individus égaux, dégagés des juridictions intermédiaires et placés directement en relation avec l’Etat garant de l’intérêt général.
L’émancipation des individus des déterminations religieuses par certaines mesures emblématiques prises dès les premiers temps de la Révolution (l’émancipation des juifs, qui deviennent des citoyens à part entière, l’unité administrative, la création des départements et du système métrique, le rapport de l’abbé Grégoire sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française, l’abolition des corporations par la loi Le Chapelier) s’inscrivent dans l’oeuvre législative de la Constituante qui vise à homogénéiser la diversité de la France d’Ancien Régime pour fonder autour de principes universels ancrés dans le droit naturel le peuple français uni composé d’individus égaux en droit. Cette matrice révolutionnaire joue un rôle fondateur dans la "culture politique française" ou dans le "modèle républicain français".
Cette tradition unitaire perfectionnée par les Jacobins, par Napoléon puis par l’oeuvre de la Troisième République postule l’homogénéité du peuple français avec beaucoup de ferveur, d’autant plus que le substrat anthropologique, sociologique, linguistique de la France est hétérogène (beaucoup de langues régionales et ce jusque tard dans l’histoire de France). Cette "France inventée" (oeuvre d’Hervé Le Bras et d’Emmanuel Todd) est une France qui participe à la construction d’un modèle qui repose sur la résorption des déterminations, pas leur abolition, en modèle du citoyen qui garantit l’unité du corps politique. C’est le fondement de la conception politique ou dite élective de la Nation à la française, concrétisée dans le droit de la citoyenneté (le droit du sol) qui est une constante depuis 1889 (malgré la parenthèse de Vichy).
L’intégration à la communauté des citoyens s’effectue sur le mode des individus pris isolément et non des communautés ethniques prises collectivement, on peut faire référence à la formule de Clermont-Tonnerre qui plaide en décembre 1789 pour l’admission des juifs aux fonctions municipales et provinciales : "Il faut refuser tout aux juifs comme Nation dans le sens de corps constitué et accorder tout aux juifs comme individus. Il faut qu’ils ne fassent dans l’Etat ni un corps politique ni un ordre, il faut qu’ils soient individuellement citoyens." Il ne peut corrélativement y avoir de peuple corse composante du peuple français comme l’a rappelé le Conseil Constitutionnel dans sa célèbre décision du 9 mai 1991 au motif "que le peuple français se compose de tous les citoyens français sans distinction d’origine, de race ou de religion". De même, le Conseil Constitutionnel a déclaré inconstitutionnelles dans sa décision du 15 juin 1999 certaines dispositions de la Charte Européenne des langues régionales ou minoritaires qui confèrent des droits spécifiques à des groupes de locuteurs de langues régionales ou minoritaires à l’intérieur de territoires dans lesquels ces langues sont pratiquées, portant ainsi atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité, d’égalité et d’unicité du peuple français. Dans ce modèle de l’universalisme républicain, une place stratégique est dévolue à la laïcité (article 2 de la Constitution de 1958), qui est un principe de séparation entre la logique sociologique des déterminations objectives et la logique politique présidant à l’avènement du citoyen. La laïcité est fondamentalement un principe de neutralité, qui repose sur la délimitation de domaines de compétences, elle est au coeur du modèle républicain car elle est le gage de l’unité spirituelle nécessaire à la République. La laïcité s’inscrit dans un universalisme susceptible de surmonter les divisions politiques et les clivages idéologiques entre républicains et, à l’époque ou la laïcité a été introduite (on retrouve cela dans les discours fondateurs de Gambetta au début de la Troisième République), de fonder la légitimité politique, intellectuelle et morale du régime.
Ce modèle républicain a été soumis depuis un demi-siècle à des critiques à la fois théoriques et politiques étayées et dont on aura l’occasion de reparler; le problème de fond est la conciliation de ce modèle dont l’universalisme constitue un pilier avec la reconnaissance des diversités, qui est un enjeu fondamental et pas seulement pour la France.
On peut citer pêle-mêle certaines évolutions récentes : la parité, l’introduction de quotas, la "discrimination positive à la française". Ce sont des pistes d’évolution qui sont au coeur des débats dont les réponses sont complexes. Cependant, il faut garder à l’esprit certains repères pour esquisser des pistes d’évolutions possibles.
Pap Ndiaye
On peut commencer par une forme d’anniversaire : il y a un mois exactement, Aimé Césaire mourrait. On se souvient que le monde politique dans son ensemble s’est pressé à ses funérailles à Fort-de-France. Passons sur la visite de Nicolas Sarkozy et son discours de Fort-de-France, il y a peu de choses à en dire tellement il me semble inepte, je ne le commenterai pas. En revanche, j’ai été frappé par les hommages rendus par la gauche, le Parti Socialiste en particulier. Lionel Jospin a alors insisté en disant qu’Aimé Césaire était un homme de gauche, que le camp de la gauche était là. Il n’avait pas entièrement tort car Aimé Césaire se pensait comme un homme de gauche, mais on doit reconnaître que la gauche dans son ensemble n’a pas accordé une grande attention à l’oeuvre d’Aimé Césaire au-delà des paroles convenues sur la fraternité et le métissage.
Mais l’oeuvre de Césaire est bien plus conséquente car il engageait une forme de remise en cause du fameux modèle de l’universalisme républicain dont on parlait toute à l’heure, remise en cause que la gauche a du mal à entendre dans son ensemble. C’est pourquoi cet hommage m’a semblé paradoxal : hommage à quelqu’un qu’on n'a pas réellement écouté.
Deux questions me semblent en jeu dans ce que pouvait écrire et dire Aimé Césaire et dans l’espace public français aujourd’hui. D’une part, la question des minorités et d’autre part, la question des identités.
On peut commencer par la question minoritaire. La notion de minorité telle qu’elle a été construite par les sciences sociales et d’abord par les sciences sociales américaines à partir des années 30 et 40, on pense là à l’Ecole de sociologie de Chicago (Young, Louis Wirth auteur de l’ouvrage sur le ghetto américain), cette notion a été pensée pour réfléchir sur un ensemble d’expériences sociales partagées par un groupe quelconque indépendamment de la nature des liens culturels ou communautaires qui peuvent unir ces personnes. Une minorité délimite un groupe social qui a pour partage commun un stigmate, stigmate lié au sexe, à la couleur de peau, à l’apparence physique, au comportement sexuel, etc.
La notion de minorité s’est imposée dans les sciences sociales américaines mais aussi dans les politiques publiques car elle permettait de penser une situation sociale indépendamment de la question de l’identité et donc de penser des politiques de réduction des torts subis par les personnes concernées.
Cette notion de minorité est apparue en France plus récemment, même si elle est peu stabilisée dans le discours public et nourrie de certaines ambiguïtés, elle paraît utile car permet de réfléchir sur la manière dont les sciences sociales françaises et parallèlement la manière dont la gauche française se sont mobilisées autour de la constitution des groupes qui ont fondé l'action politique et la recherche scientifique. La notion de minorité permet de repenser des objets de recherche et d’action publique. En France, les sciences sociales ont favorisé des objets particuliers, la classe ouvrière par exemple était investie d’espérances politiques, ces groupes étaient conçus comme dépositaires et représentants du bien commun dans la perspective marxiste. La notion de minorité permet de réfléchir sur les sciences sociales et sur des expériences sociales, qui peuvent être indépendantes (du lieu de naissance par exemple pour parler de la minorité noire). La notion de minorité est donc utile et la gauche peut réfléchir là dessus pour penser des politiques de réduction des torts subis par les personnes en question, et donc des politiques de justice sociale. La notion d’identité telle qu'elle est présente dans la réflexion d’Aimé Césaire renvoie à la question des identités culturelles et de leur expression dans l’espace public. Cette question a émergé réellement dans les années 30 en France avec la négritude de Senghor et Césaire, elle a émergé à nouveau dans les années 70 autour du problème des identités régionales dans certaines régions françaises, qui avaient reçu un accueil plutôt favorable de la gauche (les lois de décentralisation du début des années 80 reconnaissaient les langues régionales).
Puis, les choses se sont refermées au milieu des années 80 parce que les identités immigrées au milieu des années 80 et la montée du Front National ont été perçues comme étrangères et menaçantes, et parce que la question des expressions identitaires culturelles a été perçue comme favorisant la désaffiliation de la classe ouvrière. Par rapport au désarroi politique et sociologique lié pour une bonne part à la réduction et à la fragmentation de la classe ouvrière, la question de l’identité a été perçue comme une menace accélérant ces phénomènes de désagrégation alors qu’il aurait fallu imaginer des fronts de classes. On a manqué à cause de ce soupçon encore très présent dans les sciences sociales françaises de réflexions multiculturelles, qui se sont développées dans le monde anglophone à partir des années 80 : un ensemble de réflexions théoriques sur l’expression des identités culturelles sous des angles variables (linguistique, religieux) et sur l’accueil de ces expressions culturelles et des dispositifs pratiques permettant que le multiculturalisme ne soit pas qu’un discours théorique mais qu’il soit assis aussi sur des considérations pratiques. D’une manière générale, la réflexion sur le multiculturalisme peut être critique, distanciée, permet de penser les différences culturelles non pas comme des vestiges du passé attendant d’être balayés par la fameuse assimilation française mais permet de réfléchir aux théories de la reconnaissance de la diversité.
La gauche pourrait se saisir de ces théories car il y est question de justice, qui est présente dans l’approche minoritaire car liée à la réduction des torts et des méfaits induits par le stigmate dont il était question toute à l’heure (luttes contre le racisme…). La question de la justice est aussi présente dans la demande de reconnaissance des identités culturelles, parce que la discrimination en tant qu’obstacle à l’accès égal aux mondes sociaux et à la communauté politique entrave la reconnaissance des identités non conformes au monde en question et représente en cela une forme de mépris et d’humiliation de celles et de ceux qui les portent.
Lorsqu’on réfléchit sur les renouvellements intellectuels de la gauche, la question de la justice ne peut pas être rabattue sur la question de la justice sociale ou de la classe qui organise intellectuellement la gauche depuis un siècle. La justice sociale peut inclure des réflexions sur d’autre formes d’inégalité qui ne relèvent pas de la classe même si elles sont très liées aux positions de classe. Lorsqu’on réfléchit làdessus, on réfléchit sur les positions minoritaires et aussi sur les positions identitaires liées à la reconnaissance de la diversité culturelle.
Bernardo Montet
Pour moi, la définition du "être français" aujourd’hui n’est pas la même que pour nos aînés, elle se décline et se définit différemment. Nos aînés, mes ancêtres, "purs fruits de la colonisation", ne pouvaient se définir que par leur origine (maghrébine…). Je suis légataire de l’histoire de la France, je dois l’assumer et la connaître pour pouvoir l’expliquer à ceux qui ne la connaissent pas et me justifier sur le fait d’être là. La notion d’appartenance explose littéralement, il reste l’être, la question de l’identité pour moi est avant tout un être dans le monde. Être français, c’est d’une part réussir à penser l’autre, à se penser avec l’autre, à penser l’autre en soi. L’art et la culture ont leur rôle à jouer dans cette conscience identitaire ; c’est pour cela que lorsque le ministre de l’Education Nationale décide de faire apprendre aux enfants comme fondamental : "lire, écrire, compter et l’éducation civique" en oubliant consciemment ou inconsciemment l’art et la culture, il est clair qu’on est face à un gouvernement qui considère l’art et la culture comme non fondamental pour la structure d’un enfant et donc d’un citoyen. De ce point de vue-là, c’est très choquant car l’art a toujours été un outil essentiel de transmission d’un individu à l’autre, d’une génération à l’autre, d’une civilisation à l’autre. Etre face à cette pensée-là, me fait dire aujourd’hui qu’il est très important pour nous, artistes, de se positionner dans cet "état naïf". Je revendique cette naïveté, elle est aussi la preuve d’un parti pris au-delà de tout ce qu’on peut entendre aujourd’hui.
C’est peut-être pour cela qu’on a aujourd’hui beaucoup d’étrangers et de personnes d’origine étrangère dans le milieu de l’art car c’est encore le seul espace de liberté totale, ou l’expérimentation, la proposition, l’échange, l’invention et le vivre ensemble ont encore une place très importante.
Une des clauses qui a été enlevée par le ministre de l’Education Nationale, c’est le vivre ensemble, qui a été remplacé par "apprendre à être un élève" comme on apprendrait à être un soldat. Ces choses là, aussi anodines soient elles, font que la question de l’identité nationale se pose, puisque le fondement même de l’éducation d’un individu et d’un citoyen n’intègre pas cette notion d’art et de culture. Notre responsabilité aujourd’hui est d’insister pour que ces choses là soient absolument à la base de l’éducation nationale.
Après, la question de l’identité reste un mystère pour moi. Peut-être un mystère à vivre au plus ouvert, il est vrai qu’au bout d’un moment, cette question d’appartenance fait que la question du territoire explose, la question des frontières explose, si ce n’est que la frontière d’antan de l’Europe nous distinguait et nous séparait, aujourd’hui les frontières nous distinguent et nous relient. On est passé de l’Etat-Nation à une Nation qui est plus relation que séparation, dans son objectif de fond.
Moi qui suis d’origine guyanaise. Quand je vais à Saint-Domingue avec mon passeport français et qu’à la douane, on me dit : "ça fait drôle d’avoir un passeport européen dans le territoire caribéen", je dis "mais je suis français". C’est complexe à comprendre, je suis français d’origine caribéenne et pourtant profondément européen. Ces sortes de contradictions, de frictions intellectuelles, philosophique, spirituelles, religieuses sont notre quotidien.
C’est pour cela que je pense qu’aujourd’hui, c’est une chance inouïe pour la France d’être un pays aussi riche. La raison pour laquelle j’ai accepté de venir est que jusqu’à maintenant j’avais une sorte de conviction presque atavique, je suis de gauche et ai toujours voté à gauche. Avec la question du ministère de l’Identité Nationale, quelque chose est effectivement stigmatisé et je me suis dit : il faut absolument être présent pour, au moins, évacuer la question ou du moins l’aborder différemment mais il faut absolument s’en emparer. La question de l’art reste centrale, pour nous qui sommes sur le terrain, cela reste très important. Je voudrais juste raconter une anecdote. Un petit maghrébin de 10 ans qui ne savait pas lire et écrire et dont la famille était en difficulté, Laid, vient dans le studio, j’ai vu qu’il se passait quelque chose et j’ai demandé à travailler avec lui. Au bout d’un an, il a fait de grands progrès en lecture et en écriture car écrire un mouvement dans l’espace c’est aussi écrire, lire un corps dans l’espace c’est aussi lire. Il s’est approprié les notions d’écriture et de lecture, je parle là d’art, de la manière dont à un moment, on décèle la force poétique d’un individu et c’est cela qui est important, sa puissance poétique, comment il arrive à avoir une lecture du monde tout en étant un enfant. Tout à l’heure, on parlait de singularité et on n’arrêta pas d’en parler, la singularité de chacun, dans cet échange, sans se dénaturer. Toute la question est là : affirmer son individualité, cette particularité sans se dénaturer. C’est un des objectifs de la République, pouvoir mettre des lois ou autre chose, qui existe. On parlait tout à l’heure de Malraux ; je suis le directeur d’un centre national, le mot "national" a une signification : l’Etat pense que la culture n’est plus une affaire de quelques-uns, c’est une chose qui a un programme, qui s’organise. Le "national" veut dire que l’accès à la culture est une chose nationale, quelque chose dépasse les régionalismes et les communautarismes pour s’inscrire dans quelque chose de plus global et de plus riche pour moi.
Michel Duffour
Notre table ronde succède à une première table ronde où les quatre interventions ont bien précisé le débat et ont été très claires sur les pièges qui nous sont tendus et sur la manière d’y répondre. Je pense qu’il faut éviter d’avoir des affirmations trop rapides lorsqu’on indique dans l’invitation autrefois les certitudes aujourd’hui la complexité du monde. L’universalisme républicain ne connaît que des individus, mais combien d’individus laisse-t-il sur le bas de la route ? Aujourd’hui, le respect des différences et la reconnaissance de la diversité se sont imposés dans le politiquement correct sans que l’ensemble de la diversité et des différences soient prises en compte. Tous les efforts pour prolonger les modèles que nous avons connus, les rajeunir, leur redonner du souffle imposent de bien saisir quelles sont les insuffisances du modèle même lorsque des repères ont été profondément bouleversés. On fête aujourd’hui les quarante ans de mai-juin 1968, voilà une période de bouleversements où fleurissent des thèmes qui cherchent à se saisir de l’accélération de l’histoire, où tous les champs du savoir sont travaillés par la recherche entre l’individu et le collectif, par la structure et par la volonté, sans qu’on sorte du modèle lui-même et de la responsabilité publique par rapport à ce que pouvait représenter une intervention culturelle dans la Nation.
Il faut bien avouer qu’aujourd’hui et c’est, je crois, ce qui est important pour des hommes et des femmes politiques de gauche, nous sommes face à des enjeux autrement importants, avec des efforts d’adaptation à engager, de sorte que si nous ne les faisons pas, l’ensemble du modèle pourrait disparaître. Quand on est à l’heure d’une globalisation financière, quand c’est la panacée du circuit cours, que commence à surgir une culture manégériale où tout est dans l’urgence de la gestion et où la rapidité de la décision fait loi sur toute autre démarche, qui débouche sur la politique du chiffre telle que l’énonce le Président de la République, la fin du cycle telle que l’évoque la ministre de la Culture. C’est bien là un changement par rapport à une histoire, et je ne parle pas simplement des 20 dernières années, mais une histoire profonde qui fait corps avec la Nation et qui a permis de placer la culture au centre de la fabrication du corps social et des rapports sociaux.
Si seul le libre marché formate les demandes et apporte les réponses, c’est dans l’indifférence générale que notre modèle pourrait finalement disparaître sans que nous soyons en mesure de pouvoir le défendre et le porter. Je crois que cette menace demande à la gauche de réfléchir aux réponses, au souffle à apporter, sans ressasser et se plaindre d’un passé que nous ne retrouverons pas. En effet, nous ne retrouverons pas ce message vilarien qui était en osmose avec des utopies de transformation sociale et de mobilisation populaire qui ne sont plus là, mais sans abandonner les grands objectifs, les grandes missions d’éducation populaire qui font partie de notre patrimoine et qui restent un objet de conquête de cette citoyenneté réfléchie, et ce pour l’ensemble des citoyens.
Cela passe, à mes yeux et fait l’objet de débats au sein de la gauche, par de nouvelles politiques où l’on sente que les territoires dans leur ensemble sont des lieux où l’on peut travailler, sans perdre de signification sociale, la question des différences, de la diversité, la question sociale. Des politiques aussi qui offrent à des artistes et à des créateurs la possibilité, de choisir, d’affirmer aux côtés d’acteurs culturels, des actions qui rassemblent, qui unissent, qui permettent à des individus d’accompagner cette construction et de ne pas être simplement des spectateurs à qui on demande d’acquiescer. Des politiques enfin qui permettent de croiser tout ce qui se fait à partir de l'expression des populations et en sachant que c’est souvent dans le domaine de l’art, sur le mode mineur, que surgissent les innovations sans qu’on les ait obligatoirement pensées.
C’est aussi un message fort de la Nation, du pays, des responsables politiques à l’échelle internationale, qui luttent contre tout repli sur notre territoire mais qui portent aussi des messages qui ne sont pas seulement d’adaptation au monde tel qu’il va mais proposent des alternatives.
Je ne sais pas ce que Lionel Jospin a dit à Sarkozy pour préparer la présidence de l’Union Européenne, j’avoue, mais nous n’étions pas ensemble avec Catherine, puisque je suis arrivé lorsque Catherine était partie, j’ai été Secrétaire d’Etat au moment de la présidence française de l’Union Européenne. Je peux vous avouer que j’ai été parfois quelque peu confus avec les ministres des Affaires Etrangères de pays de l’Union, qui attendaient, sur le plan culturel tout autre chose de la France dans le message qu’elle pouvait porter et que nous ne tenions pas, pour cause d’équilibre politique et de rendez-vous plus importants à préparer, à notre grand détriment. Je crois que la France, mais si Hubert Védrine vient cet après-midi, il en parlera beaucoup mieux que moi, devrait au niveau de ses attachés culturels, de sa présence, de ses expositions à monter à l’échelle du monde, de ses échanges entre artistes, faire beaucoup plus qu’on ne fait. Je vais dire quelque chose de quelque peu polémique, mais je ne crois pas qu’il faille transformer nos institutions en marques, en objets de marketing car il y a là évidemment cohérence avec le monde tel qu’il va. Je ne suis pas un chaud partisan de ce qui peut se faire dans le Golfe Persique comme mission de la France et comme message que nous envoyons. Je ne crois pas que le rapport Jouyet-Lévy sur l’économie de l’immatériel soit pour la gauche un sujet de modernité sur lequel réfléchir, il y a d’autres choses à entreprendre pour être fidèle à des messages.
Questions de la salle
Question : Ce n’est pas vraiment une question, mais plutôt un commentaire. Je me demande si on se rend bien compte combien cette idée d’identité nationale peut être contraignante et très difficile à vivre. Moi aussi je suis né ailleurs, dans un tout petit pays au nord de l’Europe, le Danemark dans les années 50, un pays ou depuis 1500 ans personne n’était venu, on vivait entre nous, au chaud, on ne se posait aucune question sur l’identité nationale. A la fin des années 60, d’autres personnes sont venues, c’est à ce moment là que je suis parti, car je n’aimais pas cette idée très étouffante, c’était vraiment un pays où il fallait vivre en respectant une certaine manière de vivre, et si on n’agissait pas de cette manière, on était puni durement. Pour échapper à cet étouffement, je suis parti, comme beaucoup d’européens à cette époque en Amérique, mais l’Amérique dont j’avais rêvé ne correspondait pas à l’Amérique réelle. L’Amérique représentait alors la diversité, mais je n’avais pas réalisé que cette variété n’exprimait que très peu la réalité, les Etats Unis étaient en fait un pays très conformiste sous de nombreux aspects, là aussi je ne me sentais pas à l’aise. Vous parliez de statistiques ethniques, j’étais mal à l’aise lors du recensement de la population, j’ai reçu un papier dans lequel l’état américain me demande si je suis caucasien, noir, hispanique, juif… Je suis, d’après la terminologie américaine caucasien (blanc, européen) mais que veulent dire ces catégories ? On parle d’un côté de couleur de peau (noir : afro-américain), mais de l’autre côté, on parle d’une religion (juif), d’une langue (hispanique). On voulait m’enfermer dans quelque chose, je n’avais pas vraiment la liberté de choix, il fallait que je m’inscrive dans une de ces catégories. Désormais, on a changé, on permet de cocher deux cases, on peut être hispanique et noir… A l’époque, on me demandait ma religion, je n’en ai aucune, c’était impossible. Finalement, je suis venu en France, parce qu’il me semble qu’il y avait quelque chose d’intéressant dans ce pays, quelque chose de différent, qu’il était possible d’échapper à cette prédétermination.
Un exemple m’avait fait jubiler à l’époque : je m’intéresse à l’histoire, j’ai beaucoup lu sur l’histoire française surtout sur la IVème et la Vème République, il y a certains noms que l’on rencontre (les grands hommes de cette époque :Edgar Faure, Pierre Mendès-France, Gaston Monnerville…), un jour, j’étais à Versailles et je vais visiter le musée du Parlement et je tombe sur une photo de Gaston Monnerville. Et là, j’ai jubilé, car aucun historien dont j’avais lu les livres n’avait trouvé nécessaire de préciser qu’il était noir parce que apparemment, ce n’était pas important. Malheureusement, je ne suis pas sûr qu’aujourd’hui ce serait la même chose, mais pour moi, c’était une forme de liberté, il était possible d’apprendre à connaître cet homme sans prendre en compte le fait qu’il était noir. Je remercie la France de ce que j’ai appris : la liberté, qui m’a fait me sentir à l’aise. J’espère que la France va continuer à écarter cette vision communautaire, les communautés existent, mais la France doit continuer à adopter cette conception que nous sommes des individus libres, nous sommes nés rien.
Pap Ndiaye
Je veux dire un mot simplement pour dire que dans le recensement américain, il n’y a pas de catégories religieuses, il n’y a jamais eu dans l’histoire du recensement américain de catégories religieuses. Je ne vois donc pas du tout quand et où vous avez pu cocher la catégorie "juif" ou "athée", ça n’existe pas dans le recensement américain. Dans le recensement canadien, c’est autre chose, en effet il y a une variable religieuse.
Les catégories du recensement n’ont pas pour objectif de rendre justice à la variété, à la subtilité des identités choisies, bien entendu, nous sommes faits de très nombreuses identités et il ne s’agit pas dans ce recensement de mesurer cela, d’un point de vue scientifique, ça n’a pas d’intérêt stricto sensu de savoir combien il y a de noirs ou de latinos aux Etats-Unis. L’objectif est de mesurer les torts et les méfaits qui existent objectivement dans la société américaine et qui existent aussi dans la société française en dépit des grandes déclarations de principe qui tournent à vide dans notre pays, les torts qui sont ajustés à ces variables-là. Si on a inclus par exemple, dans le recensement anglais à partir de 1991 une variable dite "ethno-raciale" et dans la moitié des pays de l’Union Européenne, ce n’est pas pour le plaisir de mesurer ces groupes ou d’assigner les personnes à des résidences ethno-raciales fixes, c’est pour voir si le fait d’être latinos, noir ou autre, a une incidence dans un certains nombres de caractéristiques sociales, professionnelles, etc., il est très important de distinguer ces choses. Présenter la France comme un pays où, sous prétexte qu’il n’y aurait pas d’enquêtes dites "ethno-raciales" à l’intérieur ou à l’extérieur du recensement, comme un pays ou la notion de discrimination n’aurait pas cours ou en quelque sorte nous serions des individus tous égaux, me semble être en décalage avec la réalité car, en effet, la France est profondément structurée par des inégalités, par des discriminations et par des phénomènes racistes.On peut choisir de ne pas les mesurer et c'est ce qu’on a fait en France. On peut aussi choisir, comme d’autres pays, d’y réfléchir et de les mesurer. De même que dans une politique de lutte contre le chômage, on peut choisir de se passer de statistiques sur le chômage, c’est possible. Beaucoup de personnes pensent que si on veut être efficace dans la lutte contre le chômage, il vaut mieux avoir des chiffres. Moi je pense que si on veut être efficace dans la lutte contre les discriminations, il vaut mieux avoir des données, et actuellement, on n'a pas de données, on est dans le flou le plus total, on ne sait pas du tout si les discriminations sont plus importantes aujourd’hui qu’il y a 5 ans, si elles sont moins importantes. On ne sait pas du tout si l’argent qu’on dépense dans la lutte contre les discriminations a la moindre efficacité parce qu’on a pas de données. Des gens, dont moi, disent : "Inventons des données sur les discriminations afin d’ajuster les politiques anti-discriminatoires", on n'est pas obligé de mettre cela dans le recensement, on peut avoir des enquêtes anonymes statistiques là-dessus, on peut imaginer toutes sortes de précautions juridiques. De grâce, ne présentons pas les Etats-Unis comme le pays des communautés, du communautarisme, des statistiques et la France comme les pays de l’absence de racisme, de discriminations et d’individus libres dans une République qui reconnaîtrait de façon merveilleuse les principes d’universalité.
Christophe Prochasson
Pour enfoncer le clou de ce que vient de dire très bien Papa N’Diaye : il ne faudrait pas que la gauche s’enferre dans un imaginaire républicain qui bloque en quelque sorte son évolution face à des conditions historiques nouvelles. On voit bien à quel point un modèle émancipateur qu’a été le modèle républicain à un moment de son histoire est devenu au fond un modèle qui opprime. On a tout intérêt, tout en tirant du modèle républicain tout ce qu’il a de positif et d’émancipateur, à ne pas être frileux et à ne pas se faire peur avec des grands mots (universalisme versus communautarisme) qui nous empêchent de comprendre réellement quels sont les défis d’aujourd’hui. Quant aux statistiques que tu appelles (Pap N’Diaye), je suis d’accord avec toi, je pense qu’il vaut mieux savoir de quoi il retourne que de s’aveugler et de nourrir toutes sortes de fantasmes et de rumeurs sur des phénomènes qui parfois n’existent pas.
Catherine Trautmann
Les femmes ont demandé et milité pour des statistiques qui distinguaient entre hommes et femmes la question du chômage, du salaire, de l’accès au logement. Si on le faisait pour cela c’est parce qu’il y a des inégalités et on les connaît, et elles sont maintenues. Le problème est quand il peut y avoir des soupçons de considérer quelqu’un et de l’obliger à déclarer ce qui serait sa situation en fonction de ce qu’on soupçonne qu’il est et qu’on l’oblige à reconnaître ce qu’il est, c’est la question de l’origine. Ce qui pose problème c’est la confusion entre l’appartenance à un groupe qui peut avoir des torts et le fait d’être regardé comme extérieur au groupe dominant ou majoritaire et donc de devoir se définir par rapport à cet être là et non pas par rapport à sa situation. C’est là où je pense que ces statistiques dès lors qu’elles pourraient glisser sur des reconnaissances types religion, origine nationale ou ethnique posent problème. On peut trouver d’autres formulations pour disposer des mêmes faits, cela veut aussi dire qu’il faut disposer de chiffres et que ces chiffres doivent être complets sur l’immigration et qu’il faut une politique positive sur l’immigration et non pas la politique qu’on a aujourd’hui extrêmement injuste et négative, qui fait que les gens passent dans des trappes à exclusion au lieu de pouvoir accéder à des papiers et à l’emploi. Je pense qu’il y a dans les politiques d’immigration d’autres pays des modèles, ne prenons pas le modèle des Etats-Unis qui est très problématique, mais je crains beaucoup ce qui va être proposé par la France et qui risque d’être en retrait de ce qu’on pourrait normalement proposer en ayant un peu de lucidité sur la manière de traiter les différences et toutes les différences. C’est autre chose d’avoir des © L'argument public – Droits réservés. Page 36 sur 59 statistiques identifiées lorsqu’il s’agit de femmes ou de personnes qui peuvent appartenir à des groupes, y compris des groupes handicapés, c’est différent de le faire globalement et de le traduire avec un soupçon de vision raciste. Ce qui s’est passé dans ce débat ça a été de réfléchir sur le soupçon, qu’il y avait en arrière plan, d’une vision communautariste fermée ou raciste.
Question : Sur la question des statistiques, qui peuvent être extrêmement dangereuses… Le Washington Post a publié, il y a une dizaine de jours, des statistiques sur ce qui se passait en France, sur la population carcérale et il témoignait qu’il y avait parmi cette population plus de 50% de personnes de confession musulmane. Pour notre République, c’est, je trouve, inacceptable. On ne peut pas accepter que les choses soient présentées de cette façon, il faut se méfier énormément de la façon dont on présente les statistiques.
Conclusions des intervenants
Brigitte Krulic
Je suis tout à fait d’accord avec ce qui vient d’être dit sur les limites théoriques et pratiques de l’universalisme républicain, qui a été survalorisé à l’école et dans différentes institutions de la République. Le modèle a trouvé ses limites et malgré toutes les réserves sur le maniement des statistiques, rien ne sert de se voiler la face derrière le citoyen abstrait. On était parti de l’identité nationale et on est arrivé sur d’autres thèmes eux mêmes sujets à de très vastes débats (minorité, justice sociale, problématique de la reconnaissance). L’identité nationale a donc de nombreuses ramifications qui doivent nous inciter à beaucoup de prudence.
Bernardo Montet
Vous parliez toute à l’heure de reconnaissance et ce qui a été dit, je crois, c’est qu’on ne peut pas continuer si il n’y a pas cet acte de reconnaissance. Il est compliqué de continuer à parler entre nous si certaines donnes ne sont pas reconnues, ça peut passer par les statistiques ou par autre chose. Il est évident qu’il y a un mensonge sur lequel on débat, et il empêche l’ouverture du débat. Reconnaître serait déjà un acte très important. On est tous légataire de cette histoire.
Pap Ndiaye
Les notions d’identité et de minorité, avec lesquelles la gauche a beaucoup de mal, doivent être accueillies dans la réflexion intellectuelle actuelle de la gauche parce que la gauche est en chantier, sans les écarter au motif que ces notions seraient hostiles à la Nation. Il est utile et important de réfléchir sur la reconnaissance de la pluralité des identités culturelles dans notre pays. Cette reconnaissance n’est pas qu’une déclaration de principe, c’est aussi réfléchir à des dispositifs pratiques par lesquels la diversité ne tourne pas à vide mais permet la reconnaissance de la dignité des personnes. Lorsqu’on réfléchit sur les notions de minorité et d’identité, c’est aussi réfléchir sur l’accueil dans les partis politiques, des personnes minorées. Il faut reconnaître que le bilan est étriqué car pour une série de raisons, il y a beaucoup à faire et à dire dans ce domaine. La candidature d’Obama reçoit un accueil important en France car il nous débarrassera de Bush qui a été un des pire Président depuis Harding dans les années 20 et qu’il nous fait réfléchir sur notre situation : il ne peut pas y avoir d’Obama français à cause des grandes difficultés de notre système politique dans l’accueil des minorités visibles.
Michel Duffour
Je souhaite que "l’Argument public" prospère car la gauche est vraiment en panne d’idées. Nous ne pouvons pas, en tout domaine, et surtout dans le domaine de la culture, avancer vers les prochaines échéances avec le vide que l’on constate. Cela passe par du travail, il y a des discussions générales, on soulève des dizaines de sujets que l’on traite en quelques secondes ; Mais ça demande beaucoup de travail, avec des intellectuels, des chercheurs, un travail pluraliste à gauche. Le fait que je sois ici seul représentant politique ne veut pas dire une OPA de ma part sur le club.